samedi 13 juin 2015

La transat retour d'un régulateur d'allure

Enfin du repos... depuis plus de 8500 milles nautiques je n'ai jamais laissé tomber mes équipiers dans leurs moments de fatigue comme ceux d'euphorie. Pas de quart pour moi ! 

Pardon je ne me suis pas présenté : je suis le régulateur d'allure de Django. Mathilde et Olivier m'ont baptisé Raymond, parce que Raymond barre... Mes équipiers font parfois preuve d'un humour hasardeux. Pour me remercier de ma fidélité, j'ajouterai en toute modestie mon courage et ma persévérance,  Mathilde et Olivier m'ont autorisé à prendre la plume pour vous conter la transat retour telle que je l'ai vécue.

Nous avons quitté les Bermudes sous un grand soleil le 19 mai après que mes équipiers aient dépensé leurs derniers dollars dans une douche et un blueberrry muffin qui les a plongés dans une bonne humeur que rien ne pouvait plus entacher. Avant de lever l'ancre, Fred (un voisin de mouillage) leur a demandé s'ils avaient pensé à regarder les prévisions bison futé qui annonçaient une journée rouge dans le sens des départs. En effet, 20 voiliers avaient déjà quitté Saint George lorsque est venu notre tour. Et encore, les dizaines de bateaux du rallye de l'ARC ne sont partis que le lendemain ! L'étroit chenal était transformé en une véritable autoroute.  Nous sommes partis au son des cornes de brume des bateaux voisins qui nous ont salués une dernière fois avant de nous engager dans cette longue traversée. Captain do too, un autre bateau francais plus grand que Django est parti juste devant nous en lançant un défi à mon équipage : "Celui qui arrive en second invite l'autre à l'apéro!". Olivier qui ne manque jamais de reparti, notamment lorsqu'il s'agit de l'apéro,  a rétorqué : "on va plutôt dire que le premier arrivé invite le second, comme cela il a le temps de le préparer".

Nous étions à peine sortis du chenal qu'Olivier a lancé un joyeux "à table" en mettant la ligne de pêche à l'eau, opération qu'il a répétée tous les jours au lever du soleil pour un succès... limité. La ligne a traîné à mes côtés des heures durant sans qu'un poisson ne s'y accroche, exception faite du monstre qui s'y est mesuré le 6ème jour. Résultat, il a emporté comme une furie le meilleur matériel de pêche de bord après avoir arraché une ligne prévue pour supporter 100 kilos... Il a fallu que je reste concentré pendant que mes équipiers pleuraient cette perte et regardaient la bête faire des vagues impressionnantes avant de partir au loin. Personnellement (ça reste entre nous, ne le dîtes pas à Mathilde et Olivier), je me réjouis que la ligne ait cassé car je n'ose imaginer le carnage s'il avait fallu remonter ce géant à bord. Ma pale et mon fletner n'en seraient sans doute pas sortis intacts. Olivier quant à lui ne s'en est pas remis. Jusqu'à l'arrivée, il a demandé par VHF à tous les bateaux croisés s'ils parvenaient à pêcher. Mais les autres bateaux n'étaient pas plus chanceux... faible réconfort !  

Je m'aperçois que je tergiverse. Revenons-en au départ. Mathilde s'est amusée à barrer quelques heures avant de me laisser faire. Les humains se fatiguent vite... 
1666 milles nautiques devant l'étrave, cap au 66° ! Les choses sérieuses ont commencé à cet instant. Nous avions entendu dire que la transat retour est bien plus difficile que l'aller et Olivier en avait déjà fait l'expérience. Je comprends maintenant pourquoi. A l'aller, les alizés nous poussaient dans la bonne direction et il m'était facile de tenir le bon cap en somnolant à moitié. Les choses ont été bien différentes cette fois. Mathilde dit que la transat retour c'est comme les montagnes russes : on monte au nord chercher du vent, puis on redescend au sud pour contourner une dépression. On fonce puis on n'avance plus... Moi, même si je n'ai jamais dansé, je comparerais plutôt cela à une valse puisque le vent tournoie et change sans cesse de direction. Il nous est arrivé de parcourir plus de 100 milles dans la journée sans nous rapprocher pour autant des Açores. Forcément lorsque le vent nous oblige a faire cap vers le Groenland alors que les Açores se trouvent à l'Est, ça n'aide pas ! Mathilde et Olivier ont eu plus de travail que lors de la première transat : changer régulièrement de voile d'avant, tangonner, détangonner, prendre un ris, le relâcher, changer de cap et recommencer.

Enfin, globalement, pendant que sans relâche je me coltinais de barrer du près serré au vent arrière (même sous spi), cela restait assez tranquille pour eux. Boulimie de lectures et podcasts, écriture, dessin, musique, cuisine ont occupé la majeure partie de leur temps. 

Nous avons aussi eu de nombreux visiteurs au milieu de l'océan : séance photo en mer lorsque le voilier américain Tara s'est approché à 2 mètres ; discussions avec cargo et voiliers de passage ; oiseaux, méduses caravelles, dauphins et baleines venant saluer Django en nombre. Voyant ces mastodontes de 100 tonnes approcher, je dois bien reconnaître que je ne faisais pas le fier : « eh les gars faudrait peut être reprendre la barre ». Mais finalement, la technique consistait plutôt à maintenir un cap stable, afin de ne pas surprendre ce gros animal qui visiblement nous avait bien repérés et semblait tout aussi curieux que nous. 

En remontant vers le Nord et l'Est Mathilde et Olivier se sont plaints du froid et de la pluie. Mais moi je baigne dedans nuits et jours, est-ce que je me plains pour autant ? Ah vraiment ces humains, quelles petites natures ! 

Après quelques jours de pétole, la fin du voyage a été sportive mais je n'ai pas démérité, conduisant tout mon équipage des Bermudes à Flores aux Açores en 17 jours. J'ai souvent égalé ou même battu des pilotes électroniques qui conduisaient des bateaux bien plus gros... A l'arrivée tout le monde vient féliciter Mathilde et Olivier, mais personne ne pense à venir me voir. Régulateur d'allure, quel boulot ingrat, mais je suis quand même fier d'avoir emmené mon équipage au bout de son rêve !

***

Nous reprenons la plume après Raymond pour remercier tous ceux qui nous ont encouragés par téléphone satellite pendant cette traversée :
Les parents, Anne-Gaëlle et Pablo, Arnaud, Béné et Nico, Camille, Claire et Sixte, Elisabeth et Maurice, Fred, FX, Hélène et Martin, Lucien, Marie et Philippe, Mélanie et sa famille, Noémie, Romain, Sophie et Barthé, les first trentistes Yann (Kiss) et Yvon (Ty Mar) et tous ceux dont les messages se sont perdus entre le satellite et django. Vous n'imaginez pas à quel point vos messages nous ont fait plaisir !
Mention spéciale à nos routeurs Clovis et Thierry.

Pour les autres, ils vous restera une dizaine de jours entre la France et les Açores pour vous rattraper ☺


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8 commentaires:

  1. Merci à Raymond, efficace dans le silence, ainsi qu'aux navigateurs pour cette video carrément magnifique, nous avons l'impression d'y avoir été !

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  2. Super récit de transat, Raymond quel orateur et quel pilote !! B.R.A.V.O à tous les 4 !! je pense bien bien fort à vous !! Gros bisous

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  3. Bravo pour cette très belle traversée et mon impatience grandit en attendant votre arrivée, je vous suis en pensée et vous embrasse. Nanine

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  4. Incroyable vidéo! on s'y croit tellement!
    Gros gros bisous et vivement que vous nous racontiez tout ca en vrai
    kmirou

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  5. Salut Raymond, c’est Archibald régulateur d’allure sur Libid’eau. Quel boulot abattu bravo. Dis, de toi à moi, ils sont pas vite gênés tes proprios, tu bosses pendant des semaines et c’est encore toi qui t’y colles pour écrire le récit de la traversée. Super bien écrit au demeurant.
    Je te laisse travailler, ramène tes deux tourtereaux à bon port et bon vent avec ton nouveau proprio, j’espère qu’il sera sympa avec toi.
    Archibald

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    1. Salut Archibald, on a été voir sur le blog de ton proprio le bateau que tu pilotes. Un bien joli voilier ce Libid'eau ! En espérant te croiser quelque part sur l'eau je te souhaite de belles et paisibles navigations. Tu remercias Philippe pour son SMS qu'on a bien reçu sur le tel sat.

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  6. Eh, un copain qui s’appelle comme moi ! Te plaint pas trop, moi j'ai une enclume de douze tonnes à faire bouger, rien a voir avec un agile et leste first30... Bravo pour cette traversée, repose toi bien et passe le bonjour du Galopin à tes proprios ! Et dis leur qu'ils ont fait un très bon film, on s'y croyait !

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  7. Arrêtez ! arrêtez ! avec tous ces images ! je vous en supplie ! Elles me font trépigner d'envie !!!
    Bravo ! Au grand plaisir de vous revoir !

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