vendredi 27 février 2015

Il était une fois... l'histoire d'une transat sur Django



L'histoire débuta en l'an 1977. Après un long et fastidieux travail, Shark vit le jour. C'était un beau bébé de 8,95 mètres de long, 2,86 de large et un poids de 3,2 tonnes.

Il trouva acquéreur en 1979 et débuta sa vie au port de Dunkerque où il fut rapidement repéré lors du tour de France à la voile. Ce n'est qu'en 2012 que les destins de Django, Mathilde et Olivier se croisèrent au port de Lorient où Shark avait élu domicile avec son nouveau propriétaire. Il commençait à se sentir vieux et prenait goût à la douceur bien connue du micro-climat de Bretagne sud.

Il fut donc fort mécontent de laisser derrière lui son ancienne vie et ne manqua pas de le faire savoir à Mathilde et Olivier lorsqu'ils décidèrent de le rapatrier en Bretagne nord. Non seulement ces énergumènes le perturbaient dans ses habitudes mais ils avaient en outre osé le rebaptiser lors d'une cérémonie en mer. Il s'appelait dorénavant Django en hommage à un musicien de jazz manouche, lui qui pouvait se vanter d'avoir eu auparavant grâce à son nom la réputation de véritable terreur des mers ! Les premières relations entre Mathilde, Olivier et leur bateau eurent ainsi par moment des allures de guerre froide. Les nouveaux propriétaires eurent quelques mauvaises surprises. Django décida de tester la solidité de leurs nerfs en brisant la barre en plein coup de vent dans le chenal du Four alors que ses maîtres entreprenaient de le remonter vers Binic.

Django pensait venir ainsi à bout du moral et des forces des deux intrus et retrouver sa vie d'avant. Il n'avait cependant pas encore pris la mesure de la persévérance de ses nouveaux maîtres qui avaient entièrement confiance en la capacité du mythique First 30. Ils travaillèrent dur pour apprendre à connaître ses moindres recoins, lui refaire une beauté et gagner sa confiance. Petit à petit Django brilla d'un nouvel éclat. Paré d'une peinture flambant neuve, il commença à être repéré sur les pontons ce qui flattait considérablement son ego. Il se mit alors à penser qu'il avait peut être eu un jugement hâtif à l'égard d'Olivier et Mathilde. Lorsque ces derniers lui firent part de leur projet de traverser avec lui l'Atlantique, il sentit l'esprit de sa jeunesse aventureuse souffler à nouveau sur lui et ne pu contenir sa joie et sa fierté. A compter de ce jour, il fit tout son possible pour être à la hauteur et brava de nombreux coups de vent pour les amener jusqu'à ce grand jour, tant attendu par eux trois : la traversée de l'Atlantique.

***

Ils quittèrent Mindelo (Cap Vert) le 31 janvier 2015 à midi, par une journée ensoleillée et ventée, accompagnés par les dauphins.

Django, les entrailles chargées d'eau, de gazoil et de vivres, se sentait particulièrement lourd. Il fut donc soulagé lorsqu'il réussit à se délester, avec la complicité de son fidèle ami le roulis, d'une gaffe, une bassine et un livre qui furent offerts à l'océan. Pour réconforter l'équipage, énervé de ces quelques pertes, Django rappela à leur souvenir que Bernard Moitessier, pour soulager Joshua lors de son tour du monde en solitaire et sans escale, s'était débarrassé de nombreux objets par-dessus bord.

La traversée débuta sans encombre. Afin d'éviter la pétole, ils rallongèrent un peu la route vers le sud et bénéficièrent la première semaine d'un vent soutenu et constant. Django s'amusait à surfer sur les vagues tandis que son équipage, face à cette météo clémente, se mettait dans le rythme sans jamais souffrir du mal de mer.

Une fois au large, ils ne croisèrent plus un seul bateau et se retrouvèrent seuls au monde, au milieu de l'océan Atlantique. Ils pouvaient compter sur le soutien efficace de leur barreur Raymond, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Ils restaient néanmoins vigilants.
Le jour, ils veillaient à maintenir le bateau en état, surveillant chaque point d'usure pour éviter toute mauvaise surprise. Olivier se lança dans la réfection du panneau solaire. A mi-chemin, ils renforcèrent les points d'usure de la grand voile qui commençaient à apparaître aux points de friction avec les haubans à l'aide de scotch à voile renforcé au grey-tape. Ils installèrent également des morceaux PVC sur les écoutes de génois pour prévenir les morsures lancinantes de son frère-ennemi le tangon.
La nuit, ils s'astreignaient à des quarts de 3 heures, toujours prêts à intervenir, se relayant au chevet de Django qui ne pouvait prendre de repos.
De jour comme de nuit, ils devaient faire face au jardin de sargasses qui ne les lâchait plus, faisant parfois perdre les pédales à Raymond et rendant la pêche quasi impossible alors même qu'une grosse dorade coryphène pêchée le 3° jour avait mis l'eau à la bouche de l'équipage.

Les journées et les nuits se succédaient, aussi rapidement que les romans dévorés, les podcasts écoutés, les films et documentaires visionnés, les musiques écoutées et fredonnées, les duos harmonica-guitare joués, les bons repas dégustés et les douches à l'eau de mer prises sur le pont.

La transat s'avérait aussi particulièrement propice à la réflexion. Au fur et à mesure de leur avancée vers l'ouest, la chaleur se faisait de plus en plus étouffante et les nuits de plus en plus douce. C'est donc aux levers et couchers du soleil ainsi que sous de splendides ciels étoilés que Mathilde et Olivier se laissaient emporter par leurs pensées.

Certains évènements venaient parfois bousculer cette douce routine.
Le 5ème jour, à une cinquantaine de mètres du bateau, les comparses aperçurent un souffle de baleine, puis deux ! Spectacle grandiose, surtout lorsque l'une d'elle se tourna pour laisser voir sa nageoire. Olivier Mathilde et Django n'eurent cependant pas trop le temps de s'émerveiller car les cétacés s'approchaient doucement d'eux. Un petit coup de moteur suffit heureusement à faire disparaître les baleines dans la profondeur de l'océan aussi furtivement qu'elles avaient surgi à la surface.
En récompense pour leur persévérance et leur ténacité à remonter inlassablement les sargasses qui se prenaient dans la ligne pendant plus d'une semaine, le Dieu de la pêche leur offrit le 11ème jour une magnifique bestiole. L’événement survint le 11 février au matin aux alentours de 9 heures, tandis que Mathilde était de quart et qu'Olivier se reposait. Alors qu'elle était en train de lire à l'intérieur, elle entendit le winch tourner. Elle pensa immédiatement que la ligne de pêche avait à nouveau croisé la route d'un banc d'algues et sortit pour les en enlever. Elle s'aperçut pourtant assez vite d'une chose inhabituelle : la ligne slalomait de droite à gauche avec une puissance inouïe. Mathilde commençait donc sérieusement à envisager la présence d'un poisson au bout de la ligne lorsqu'elle aperçut une immense dorade coryphène sauter hors de l'eau pour se défaire de l'hameçon. Elle se plut à s'imaginer dans le rôle de Santiago et remercia Hemingway d'avoir détaillé dans son roman les techniques de pêche : pas de secousses brusques, lâcher de la ligne lorsque le poisson tire brutalement pour le fatiguer et le remonter lentement. Elle ne manqua pas de réveiller Olivier en hurlant sa joie pour qu'il vienne l'aider à ramener le monstre. Quelques minutes après, une dorade coryphène d'1 mètre 15 et environ 10 kilos se débattait dans le cockpit. Il fallut user de force, de ruse et saouler l'animal qui heureusement ne tint pas trop l'alcool. Précisons à ce stade du récit que si l'auteur a déjà été qualifiée de "Marseillaise" par son entourage, aucune exagération ne peut ici lui être reprochée. En effet, la dorade a été mesurée dans les règles de l'art et des photos ont été prises en guise de bonne foi. Parenthèse refermée. Une fois domptée, la dorade occupa l'équipage toute la journée. Il fallut la découper, la dépecer et préparer de beaux filets pour en faire des conserves, (deux fournées de bocaux laissés 1h30 dans la cocotte minute) des rillettes, des sushis, des accras, des steaks... puis nettoyer le carnage occasionné dans le bateau. Malgré tout Mathilde et Olivier étaient très heureux d'avoir du poisson pour tenir jusqu'à la fin de la traversée et laisser derrière eux la triste période où ils avaient été réduis à manger des conserves de saucisses particulièrement écœurantes.
Au cours de la 13ème nuit, ils repérèrent une petite lumière à l'horizon et tentèrent un appel sur le canal 16 de la VHF sans espérer une réponse, se demandant même s'ils n'avaient pas eu une hallucination. Contre toute attente, ils obtinrent une réponse immédiate. Pour la première fois ils n'étaient plus seuls et furent émus de pouvoir discuter un long moment avec l'équipage du voilier allemand qui se trouvait devant eux.

Bref, Olivier était comme toujours en transat (sa 3° déjà !), heureux comme un poisson dans l'eau et n'était pas pressé d'arriver. Mathilde qui découvrait la transat, ne cessait de se dire qu'elle se sentait fort bien "dans" l'Atlantique jusqu'à ce qu'Olivier lui fasse remarquer qu'il était préférable qu'elle se sente bien "sur" l'Atlantique !

***

Bien sûr, il y eut quelques épreuves psychologiques. Passé le milieu de la transat notamment, l'équipage ne put échapper à la pétole qu'il avait réussi dans un premier temps à éviter.

Il était temps que le vent revienne, vendredi 13 février, alors que Mathilde commençait à présenter des signes de démence précoce particulièrement inquiétants. C'est ainsi qu'elle fut repérée en train de souffler en direction des voiles et d'avoir une grande conversation avec les alizées, leur promettant monts et merveilles s'ils pointaient le bout de leur nez. Précisons que cet évènement est intervenu juste après que Mathilde se soit liée d'amitié avec un poisson volant qui était venu finir sa vie en s'écrasant après un long vol plané dans le cockpit. La corrélation de ces deux épisodes laissait donc sérieusement craindre quant à son état mental.

Olivier, s'il paraissait parfaitement sain d'esprit le jour, témoignait la nuit d'une activité somnambule pour le moins troublante. Les épisodes furent nombreux. L'auteur s'en tiendra donc qu'à quelques uns d'entre eux. Olivier se réveilla ainsi en affirmant que de l'eau lui coulait sur le visage, en soutenant qu'il entendait du bruit provenant de la terre alors qu'ils se trouvaient à plus de 1000 milles des côtes ou encore en étant persuadé d'avoir vu un serpent de mer suspendu au plafond du carré... Une nuit, il sauta de sa couchette en sursaut en demandant à Mathilde qui était de quart où "se trouvait la personne". Il soutenait qu'il "l'avait entendue et qu'il savait qu'elle se trouvait ici". Ignorant de qui Olivier voulait parler, Mathilde lui fit remarquer qu'à part une sirène, elle voyait mal de qui il pouvait s'agir. Cette explication finit par convaincre Olivier qui retourna se coucher penaud. Cet épisode aurait pu demeurer comique s'il ne s'était soldé par un drame. En effet, cela donna l'idée saugrenue à Mathilde d'écouter pendant le reste de son quart de nuit les musiques de la Petite Sirène qui ne quittèrent plus son esprit pendant tout le reste de la traversée...

***

Avec le retour du vent, ils furent bercés de plus en plus vite de droite à gauche et de gauche à droite jusqu'à apercevoir la terre. La Barbade, première terre en vue fit son apparition au bout du 17ème jour et le lendemain l'équipage atterrit à Union Island, leur destination finale, en dépassant le mythique mouillage cristallin des Tobago Cays.

Ils vécurent heureux de l'autre côté de l'Atlantique, rencontrant cependant des défis de taille rapidement relevés du style : comment éplucher une banane ou ouvrir une noix de coco ?  


Cap à l'Ouest !

Première dorade coryphène (jour 3)



Le rituel de lecture des messages d'encouragement sur le téléphone satellite


Le roulis à l'oeuvre : dragons 
dessinés par une étoile et la lune













Réparation du panneau solaire (Jour 5)

Les fameux pains frais du chef boulanger
(notez la progression entre
le début et la fin de la transat)
  


Le craquage : film et pop-corn


Sessions guitare - harmonica


Un des 19 poissons volants qui sont venus s'échouer sur Django pendant la traversée

  


 Les sargasses, cauchemar de notre régulateur d'allure et notre ligne de pêche...

Installation pour recevoir la météo par téléphone satellite
et installation du PVC sur les écoutes de génois




Saturday night fever !
   
 


Milieu de l'Atlantique !

Mathilde prise en flagrant délit de sieste pendant son quart...

Au milieu de l'Atlantique tous les excès sont permis... crêpes au nutella et baignade au programme.



                                           
Jour 11 : dorade coryphène qui nous tiendra 16 repas

 




Accras de dorade





 



  
Vue du salon, salle à manger, cuisine et chambre

TERRE EN VUE !!!!
  




Union Island : arrivée après 18 jours de mer le mercredi 18 février 2015